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D. Broady, "Préface : Les patrimoines des grandes familles", pp. 5-6 dans Michel Pinçon & Monique Pinçon-Charlot: Considérations sur l’enquête sociologique dans les beaux quartiers, Skeptron Occasional Papers 10, 1994


Préface: Les patrimoines des grandes familles

 

Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, chercheurs actifs au Centre de sociologie urbaine, l’Institut de recherche sur les sociétés contemporaines, Paris, ont pendant les dix dernières années mené des recherches importants sur les faits de demeurer et les modes de vie de la noblesse et la grande bourgeoisie en France. Par-dessus une série d’articles, ils ont produit quatre ouvrages sur ce sujet : Dans les beaux quartiers, Seuil, Paris 1989 ; Quartiers bourgeois, quartiers d’affaires, Payot, Paris 1992 ; La chasse à courre. Ses rites et ses enjeux. Payot, Paris 1993 ; Grandes Fortunes. Dynasties familiales et formes de richesse en France, Payot, Paris 1996.

Les expériences de ces études servent de base à un cinquième ouvrage, plus orienté vers l’épistémologie et la méthodologie : Sociologie de la grande bourgeoisie : réflexions sur une méthodologie qualitative (titre provisoire). La parution est prévue pour fin 1996. Une traduction en langue suédoise est projetée par Éditions Daidalos.

Les chercheurs en sciences sociales suédois, préférant étudier les gens du commun ou les misérables et cédant l’observation de la classe supérieure aux journalistes, auraient beaucoup à apprendre des Pinçons. Les recherches de ceux-ci sont caractérisées par justesse empirique, rigueur méthodologique et de l’imagination sociologique en premier lieu. Ils font usage de tout un arsenal d’une étendue peu ordinaire d’instruments de recherche, qui autrement sont répandus sur des spécialités scientifiques différentes : la sociologie urbaine, la microsociologie, la sociologie de l’économie, l’ethnographie, la sociologie de sport, l’observation participante, l’histoire d’architecture... Avec ces instruments, ils ont réussi à déchiffrer un monde qui demeure clos pour la plupart d’entre nous.

En lecteur appartenant à la classe moyenne et individualiste, je suis frappé par le fait que tant dans ce monde est propriété commune : l’entreprise de famille, le nom patronymique, la maison ou le château, la collection d’objets d’art et les anecdotes des annales familiales, mais aussi le choix de fréquentations et d’époux ; tout fait partie d’un gigantesque plan d’investissement coordonné qui a pour but de consolider le capital symbolique en commun. Le fait que les investissements s’opèrent aux domaines tout à fait différents est un autre trait caractéristique. Dans la classe moyenne ambitieuse, chacun essaie tout seul de bien faire quelque chose, tandis que les issus des grandes familles ont la possibilité de tirer avantage du fait qu’un oncle ou cousin exerce une fonction publique, un autre est directeur d’entreprise, un troisième a une galerie d’art, et encore un (normalement une femme) consacre tout son temps à entretenir le sentiment de solidarité de la famille.

Ainsi, dans leurs travaux Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon font voir un paradoxe bien particulier. Tandis que, dans les classes populaires et moyennes, les rapports collectifs traditionnels — c’est-à-dire l’entente familiale, de travail et de voisinage — se décomposent, une collectivité analogue dans les couches supérieures de la société est renforcée, contrairement à l’idéologie explicite de celles-ci, selon laquelle on se méfie des solutions collectives.

Il y a beaucoup à apprendre non seulement de l’objet de recherches de Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, mais aussi de leur manière d’exercer le métier de sociologue. Leurs procédés sont fondés sur une connaissance très poussée en ce qui concerne leur position, en tant que sociologue, vis-à-vis de leur objet.

Grâce à cette attitude d’autoréflexion ils réussissent entre autre à se vacciner contre le péril de se laisser gouverner par leur ressentiment, chose qui autrement est une attitude trop en cours lorsque des sociologues, du point de vue de leur position en classe moyenne, observent les classes supérieures : quand on est poussé par une volonté de relever les perversions, l’abus de pouvoir ou le mauvais goût que l’on préalablement attribue aux objets de ses études, le résultat en sera l’agitation politique, justifiée peut-être mais qui anéantit les acquis nouveaux qui seraient possibles avec un travail de recherche plus réfléchissant.

L’autoréflexion leur aide aussi d’éviter un autre piège tendu au sociologue issu de la classe moyenne, c’est-à-dire de se laisser éblouir par le lustre de la haute société à un tel degré que la fascination supplée à l’analyse scientifique. Le résultat est d’habitude des reportages de société dévots ; ou bien les représentants de la haute société paraissent mystérieux, comme des survivants curieux d’une ère antédiluvienne que nous, les hommes modernes et ordinaires, n’ont pas la possibilité de comprendre.

Mais on peut comprendre les grandes familles, chose qui demande une conscience méthodologique hors commun. Dans les ouvrages de méthode sociologique sur la technique d’enquêter et pareil, on attache une grande importance au problème que la personne interrogée se sentirait inférieur au chercheur et le verrait comme le représentant d’un pouvoir ou d’une autorité quelconque. Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon ont a combattre le problème contraire : c’est le sociologue qui à partir d’une position dominée s’approche de ceux qu’il ou elle observe, situation sociale qui nécessite des instruments particuliers.

Au cours de ces conférences (jusqu’à présent inéditées), qui sont rassemblées dans cette édition de Skeptron Occasional Papers, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon ont généreusement propagé leurs connaissances en méthodologie et épistémologie. Les conférences ont eu lieu pendant leur séjour à Stockholm en novembre—décembre 1994. La visite faisait partie d’un programme d’échange franco-suédois de chercheurs. De plus, les conférences faisaient partie d’un cours ”Les patrimoines des grandes familles” pour les étudiants de doctorat à Stockholm Institute of Education.

Donald Broady

 

 


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Created by Donald Broady. Last updated 1994
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